Peter Hook: “Avec Joy Division, on se marrait beaucoup”

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L’ancien bassiste du groupe sort Unknown Pleasures, Joy Division vu de l’intérieur, un ouvrage où il prend le pouls d’une époque et raconte son Joy Division.

Mardi 22 janvier. Dans un hôtel près de la gare du nord, l’ancien bassiste de Joy Division et de New Order affiche une mine ravie. La veille, il a présenté son dernier livre Unknown Pleasures, Joy Division vu de l’intérieur (ed. Le mot et le reste), devant un parterre de vingtenaires admiratifs. Façon de constater que l’aura de Joy Division, groupe cultissime de la New Wave, n’a pas faibli. En effet, de Lescop à Aline, le nombre de formations qui se revendiquent de la formation mancunienne ne se cesse de croître. Aujourd’hui, Peter Hook ne joue plus avec New Order mais il parle de sa musique comme une intensité qui ne laisse aucunement présager son âge, 56 ans. Avec son accent à couper au couteau et sa gouaille inimitable, il revient pour nous sur la brève carrière de son ancien groupe, l’un des meilleurs groupes du monde, Joy Division.

Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre sur Joy Division maintenant?

Le livre que j’ai écrit sur l’Hacienda (L’Hacienda, la meilleure façon de couler un club ed. Le mot et le reste) m’a vraiment mis en confiance. Ca, c’est pour l’aspect technique, pour l’écriture. Mais sur le fond, je crois que c’est parce que j’ai lu trop de livres sur Joy Division. Toutes ces fautes, toutes ces approximations… Et ça m’a agacé. J’ai du lire le livre de trop, voilà. Mais Unknown Pleasures était compliqué à écrire. En me souvenant de Joy Division, du groupe, de Ian, j’avais systématiquement l’impression que tout était absolument génial. Je faisais des listes et je notais les concerts: 10/10, 10/ 10, 10/10… Il a fallu trouver des nuances et mettre en marche mon sens critique. Ce qui n’était pas évident.

Pourquoi l’avez-vous appelé Unknown Pleasures, d’après le nom du premier album de Joy Division. Quel sens donnez-vous à ce titre aujourd’hui?

Ce disque est la chose la plus déterminante de ma vie. J’ai mis un certain temps à m’en rendre compte. Quand l’album est sorti, je ne l’aimais pas. La production me déplaisait. Je trouvais l’ensemble trop sombre, trop épuré, trop clinique. L’atmosphère punk de nos répétitions et de nos concerts n’y était pas. J’ai mis des années avant de pouvoir le réécouter. Quand Ian est mort, nous nous sommes jetés à corps perdu dans New Order parce que nous n’avions pas le choix. Il fallait refouler. Ca n’était pas très sain, mais ça a marché. Je crois que la puissance de New Order provient précisément de ce refoulement. En 2006, quand j’ai quitté le groupe, tout m’est revenu en pleine figure.

En vous lisant, on a l’impression que vous cherchez à donner une autre image de Joy Division, à banaliser la vie du groupe, à humaniser Ian, en racontant des blagues débiles par exemple. Ca vous agace cette image de groupe culte et mortuaire qui colle aux baskets de cette formation?

Nous venions d’un univers prolétaire, nous étions des ados et franchement, on se marrait beaucoup. La musique était une question de vie ou de mort, certes, mais tout ce qui se passait autour était vraiment super. Ian adorait rire, il avait un sens de l’humour décapant. Il se déguisait souvent par exemple! Comme le bon anglais qu’il était. Bref, oui, l’enjeu était de le démystifier tout en montrer l’admiration profonde que j’ai pour lui. C’était quelqu’un qui avait beaucoup lu, sa culture musicale était considérable. Le bonhomme est devenu tellement culte maintenant que c’est difficile de parler de lui. Dans un magazine anglais, quelqu’un a écrit que je “profanais sa mémoire” par exemple. Ca n’a aucun sens, c’était l’un de mes meilleurs amis.

Comment expliquez-vous qu’il se soit intéressé à l’avant-garde musicale et à la littérature si tôt?

C’était un grand autodidacte. Un type super curieux. Il y a des gens comme ça…

Le public vous renvoyait quelle image à l’époque, pendant les concerts?

Des punks austères et plutôt frimeurs. Mais les gens ne savaient rien de nous. Il faut remettre les choses dans leur contexte, nous sommes devenus connus bien plus tard. A l’époque nous ne mettions pas nos visages sur nos albums par exemple. C’était perçu comme un truc bizarre. Notre nom n’était même pas inscrit sur notre premier disque d’ailleurs…

Pourquoi cet effacement volontaire?

C’était l’éthique du Punk. L’esthétique DIY, contre l’exaltation de l’ego. Et puis on a toujours trouvé que les groupes qui se montraient sur les couvertures de leurs disques avaient l’air de gros cons.

Vous décrivez Ian comme quelqu’un à la personnalité éclatée: un père de famille fauché, un leader de groupe de punk, un grand malade, un amant romantique et impuissant. Réconcilier toutes ses facettes de sa vie était au dessus de ses forces?

Ian est mort à 23 ans… C’est l’âge de mon fils aujourd’hui. 23 ans, c’est le début de la vie. Ca me brise le coeur. On a tellement profité avec New Order, on a connu la gloire et tout ce qui va avec. Lui n’est jamais sorti des clubs miteux, il n’a connu que les vans pourris. S’il était resté en vie, il aurait chanté sur Blue Monday, j’en suis convaincu. On aurait tout fait, ensemble. Power Corruption and Lies aurait était écrit sous le nom de Joy Division. Il aurait fait Glastonbury. Il aurait tourné aux Etats-Unis. Il aurait vu sa fille grandir. Il aurait connu le succès. C’est une injustice absolue et je ne peux rien y faire.

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Dans le film 24 Hour Party People, il y a une séquence très difficile sur vous. Le Ian Curtis fictif fait une crise d’épilepsie, il agonise sur le carrelage, dans les loges et votre seule préoccupation, c’est de lui soutirer une cigarette. Ce genre de représentations vous ont-elles fait du mal?
Mais ça n’est pas moi qui ai fait ça. C’était Steve (le batteur). Je n’étais même pas là quand Ian a fait sa première crise d’épilepsie, je garais le van. Mais ça ne change rien. C’était une réaction de trouille. Steve ne savait pas quoi faire, il ne savait pas comment réagir. De façon générale, 24 Hour Party People dépeint l’histoire du label Factory comme une farce. C’était le parti pris Michael Winterbottom. Il trouvait ça très très drôle. Nos erreurs, nos enfantillages, tout ça. Ce film à eu un succès phénoménal et j’en suis ravi puisque malgré son traitement, il fait une très belle part à la musique. De toute façon, si vous voulez quelque chose de clinique et d’extrêmement juste sur les détails, il y a Control d’Anton Corbjin. Sa version des faits est glaciale, à l’opposé. La vérité sur l’esprit de l’époque se situe quelque part entre les deux.
Et pourtant, malgré les films et les livres écrits sur le sujet, on ne comprend toujours pas comment s’est effectuée la rupture musicale du punk braillard à la Sex Pistols, qui vous définissait au tout début, à votre esthétique épurée que l’on connaît sur vos albums.
On explique difficilement le secret d’une alchimie. Je crois que l’impulsion créative venait du fait que nous jouions une partition très différente tous les quatre. C’était le cas dans Joy Division mais aussi dans New Order d’ailleurs. Chacun joue une ligne lead et mélodieuse. C’est ça qui est si puissant. Pourquoi ça tient ensemble et pourquoi on ne se marche pas sur les pieds ? Je ne sais pas, c’est le hasard j’imagine. C’est Ian qui orchestrait les compos. Il n’était pas instrumentiste donc il le faisait de façon très spontanée. Je le vois encore au milieu de la salle, comme un vrai gamin. “Pete joue ta note là, Mi, ouais c’est ça, celle qui est super grave, ça sonne trop bien. Et toi Steve fais ta batterie, celle qui sonne comme un rythme de la jungle”. Et il agitait les bras par-dessus sa tête, comme un hélicoptère.

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Au début du livre, vous écrivez: “Si on faisait de la musique on héritait automatiquement du statut de lépreux social”. Aujourd’hui, le rock s’apprend à l’école. Pensez-vous que sa banalisation nuit à sa créativité et sa puissance?

Non, je ne crois pas. Enfin, ce qui compte par-dessus tout, c’est l’écriture. Sur le plan formel, le curseur s’est peut être déplacé. Il y a des genres nouveaux, très excitants. Le dubstep par exemple, c’est vraiment super. Mais ça s’est “popifié” très vite hélas. J’adore la House. C’est super drôle, quand je fais des DJ sets, les gens s’attendent à ce que je joue de l’indie, des trucs super dark. Et je ne joue que de la House en fait. Aujourd’hui, le problème c’est peut-être que les groupes deviennent connus vite hyper vite. Le fait de tourner longtemps dans des bars miteux et dans des quartiers pourris, ça rend bon. Mais globalement, je suis moyennement convaincu par cette théorie, très à la mode, du rétro. Quand Oasis est sorti par exemple, je me souviens que tout le monde gueulait: “c’est du réchauffé, c’est pompé des Beatles”. On s’en fout. En vieillissant, on a l’impression que tout ressemble à quelque chose du passé.

Enfin, Joy Division ne ressemblait pas aux Beatles ou autre chose d’ailleurs…

Ca, c’est sûr! Et New Order non plus. (Il explose de rire). Et on est des sacrés connards parce qu’un tas de groupes aujourd’hui nous ressemble!

© L’Express

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